L'annonce de la candidature de la Française Christine Lagarde à la direction générale du Fonds monétaire international, mercredi 25 mai, a uni l'Europe autour de son nom, mais a suscité des commentaires prudents ailleurs, y compris aux Etats-Unis.
Mme Lagarde a rendu officielle lors d'une conférence de presse à Paris cette candidature qui avait déjà pris forme depuis plusieurs jours. Cela n'a pas changé la position des Etats-Unis, pour lesquels il n'y a pas d'urgence à dévoiler une préférence. "Pour l'heure, deux personnes très fiables ont dit qu'elles aimeraient diriger cette institution et elles pourraient être rejointes par d'autres", a affirmé le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner. Il reste plus de deux semaines, jusqu'au 10 juin, pour déposer sa candidature.
M. Geithner a reconnu les mérites de son homologue française, et d'un autre candidat déclaré, le gouverneur de la banque centrale mexicaine, Agustin Carstens, tous deux appréciés à Washington : "Christine Lagarde a des compétences exceptionnelles et combine de façon excellente la connaissance de l'économie et de la finance et le sens politique dont il faut savoir faire preuve [à ce genre de poste], et il en est de même pour Agustin Carstens."
"UN CHOIX PÉRILLEUX"
Mais il a fait comprendre qu'il ne voyait pas de problème si l'Europe garde la tête du FMI. "La force de Christine Lagarde n'est pas principalement le fait qu'elle soit européenne ; sa force, et cela devrait être la force [de tout candidat sérieux], c'est l'expérience, le talent et les compétences." Le Canada a également temporisé entre Mme Lagarde et M. Carstens. "Je les connais très bien tous les deux et ils sont tous deux hautement qualifiés", a dit le ministre des finances, Jim Flaherty.
En France, Mme Lagarde a reçu le soutien officiel du premier ministre, François Fillon, qui voit en elle "une candidature de qualité", "d'équilibre entre performance économique et solidarité". Du côté de l'opposition par contre, les réactions furent plus mitigées : Eva Joly (Europe Ecologie-Les Verts) voit en cette candidature "une faute majeure", car "les doutes pèsent sur les fondements de sa décision de recourir à l'arbitrage dans l'affaire Tapie". Arnaud Montebourg (PS) a quant à lui parlé d'"un choix périlleux", et estime qu'"il y a d'autres candidats européens qui pourraient mener une autre politique".
"GRANDE COMPÉTENCE"
En Europe, les appels à l'unité et le concert de louanges à l'endroit de Mme Lagarde se sont poursuivis. Le porte-parole du gouvernement allemand, Steffen Seibert, a souligné sa "grande compétence" "sur la scène internationale", indiquant que Berlin la soutenait "fortement". Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a salué une candidate "très respectée sur le plan international", et a vanté ses "qualités".
Le ministre des finances belge, Didier Reynders, qui s'était dit intéressé par le poste, s'est finalement rangé derrière Mme Lagarde. "Je soutiendrai un consensus européen sur son nom", a-t-il écrit sur son compte Twitter. En dehors de l'Europe, seul un pays a déclaré publiquement soutenir Mme Lagarde : le Congo, dimanche. Les membres de l'Union européenne détiennent sept sièges sur les vingt-quatre du conseil d'administration du FMI, l'instance qui doit désigner le successeur de Dominique Strauss-Kahn "par consensus", ou à défaut par un vote.
"ABANDONNER LA CONVENTION NON ÉCRITE ET OBSOLÈTE QUI PRÉVOIT QUE LE DIRIGEANT DU FMI SOIT FORCÉMENT EUROPÉEN"
Cinq administrateurs, représentant le groupe des pays émergents dits "Brics" (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), sont sortis de leur réserve habituelle, mardi soir, pour critiquer l'empressement des Européens à garder le poste de directeur général, qu'ils monopolisent depuis soixante-cinq ans.
"Une procédure véritablement transparente, selon eux,exige d'abandonner la convention non écrite et obsolète qui prévoit que le dirigeant du FMI soit forcément européen." Mais ces pays n'ont pas de candidat commun. Et ils sont conscients de la difficulté d'en imposer un face à Mme Lagarde, très écoutée et influente au G20.
"Nous devons reconnaître que les relations internationales sont des relations de pouvoir et que ceux qui détiennent le pouvoir ne veulent pas céder du terrain facilement", a affirmé le premier ministre indien, Manmohan Singh, à l'issue d'un sommet Inde-Afrique, à Addis-Abeba.
En outre, un diplomate russe a laissé entendre, de Bruxelles, que son pays pourrait finalement apporter son soutien à la ministre des finances françaises. Une enquête judiciaire par laquelle est menacée la ministre des finances française dans un dossier impliquant l'homme d'affaires Bernard Tapie "est le seul point faible de Lagarde", a indiqué Aleksandr Krestiyanov, chargé d'affaires à la représentation de la Russie auprès de l'Union européenne à Bruxelles. "Nous soutiendrons un bon professionnel, qu'il vienne d'Europe ou d'un autre pays", a-t-il encore dit.